« Vous avez sept minutes ». Aussitôt, les participant∙e∙s s s’emparent de papiers et de stylos colorés et se mettent à écrire. La trentaine de jeunes gens qui se sont retrouvés le 6 novembre 2024 dans la salle sous la coupole de l’Université de Berne terminent bientôt leur scolarité ou ont récemment commencé leurs études. Deux tiers d’entre elles et eux ont participé à la finale d’une Olympiade de la science ou sont alumni de la Fondation Science et jeunesse (Sej) – ou les deux à la fois. Elles et ils viennent de différentes disciplines, de la linguistique à la chimie, mais partagent un grand intérêt pour la recherche scientifique. Depuis 2021, la Fondation Marcel Benoist organise un atelier autour de la remise des Prix scientifiques suisses Marcel Benoist et Latsis, afin de permettre à ces jeunes talents de s’entretenir en petits groupes avec des scientifiques de haut niveau.
Grandes questions, petits pas
« Et si le modèle standard de la physique des particules était réfuté ? », demande Dimetri, ancien alumnus de Science et jeunesse et étudiant en informatique, à la physicienne des particules Lesya Shchutska. « Ce serait passionnant ! », répond celle-ci en souriant. « Cela rendrait notre vie tellement plus intéressante. C’est très ennuyeux d’avoir une théorie qui se vérifie toujours ». Actuellement, le modèle standard explique toutes les mesures. Il est impossible de prédire d’où viendra la prochaine grande découverte en physique des particules. Toutefois, il ne faut pas se lancer dans la science en pensant que l’on va bouleverser la discipline : « Partout, et pas seulement dans la science, il y a une grande question au départ », explique Shchutska. Mais on ne peut pas répondre seul∙e à cette grande question. On choisit donc une question plus petite et on y travaille jour après jour.
Il faut savoir s’enthousiasmer pour les petits pas, estime également Mackenzie Mathis. Elle trouve à chaque fois passionnant de voir des souris apprendre en jouant à des jeux vidéo « adaptés aux souris ». Ce qui se passe alors dans le cerveau n’est pas si différent de ce qui se passe chez les humains. Les données collectées peuvent ensuite être utilisées pour entraîner une Intelligence artificielle (IA) par exemple. Contrairement à « ChatGPT », on ne peut pas simplement alimenter l’IA pour la recherche sur le cerveau avec Internet, répond Mathis à la question d’un participant sur les limites de l’IA dans le domaine des neurosciences. Pour elle, les limites résident donc dans la disponibilité des données et non dans le développement d’algorithmes.
« Toutes les disciplines sont liées ! »
« J’ai trouvé impressionnant de voir des gens de domaines très différents travailler ensemble », raconte Lina, médaillée olympique de géographie, à propos de son entretien avec Mathis. Des informaticiens, des mathématiciennes, des vétérinaires, des statisticiennes : Les neurosciences sont aussi interdisciplinaires que les participant∙e∙s à l’atelier. « Le fait que nous soyons tous ici issu∙e∙s de nombreuses disciplines et que nous nous comprenions m’a ouvert les yeux. Toutes les disciplines sont liées ! », s’enthousiasme Hélène, étudiante en chimie à Genève. L’échange avec Mackenzie Mathis lui a ôté l’inquiétude de devoir déjà opter pour une discipline. Mathis elle-même avait prévu de devenir chirurgienne au collège, avant que le contact avec des patient∙e∙s atteint∙e∙s de maladies du motoneurone l’inspire à se tourner vers les neurosciences.
« Qui parmi vous aimerait devenir neuroscientifique ? », demande Mathis à l’assemblée. La main d’Anna, alumna de Sej et finaliste de biologie, s’élance immédiatement. Elle a déjà pu acquérir une première expérience dans cette discipline grâce à un stage. Mathis aurait-elle elle-même levé la main de manière aussi décidée à son âge ? Si elle s’est intéressée très tôt à la science – elle a dépensé un jour son argent de poche pour acheter un microscope – la lauréate du Prix Latsis raconte aussi que, pendant longtemps, elle n’a pas vraiment su ce que cela signifiait d’être une scientifique. Maintenant qu’elle le sait, elle aime partager son expérience, par exemple en faisant une petite digression sur la manière de demander des fonds pour la recherche.
« Tu as des questions et tu veux trouver des réponses »
Pascal Gygal donne lui aussi un aperçu de l’activité académique et s’exprime de manière tout à fait critique sur les hiérarchies poussiéreuses et le défi de trouver des moyens financiers. Le psycholinguiste recommande aux futur∙e∙s scientifiques d’investir également dans un plan B. « Il ne faut pas devenir professeur∙e pour devenir professeur∙e », conseille Gygax, « mais parce que cette curiosité que l’on avait enfant sur la vie est toujours là. C’est tout. Tu as des questions et tu veux trouver des réponses ». La possibilité de se poser des questions et d’y répondre ensuite, tout en apprenant toujours davantage, n’existe pas dans beaucoup de professions, ajoute-t-il. Gygax raconte qu’un jour, il a discuté avec un collègue d’un match au cours duquel le comportement de l’arbitre leur a semblé raciste. Deux semaines plus tard, ils ont déposé une demande de recherche qui a abouti à une publication sur le racisme dans le sport.
Gygax s’intéresse à la manière dont le langage est lié aux préjugés implicites, à l’influence qu’exerce par exemple sur notre pensée l’utilisation systématique du masculin. Cette recherche suscite également des réactions politiques négatives – selon Gygax, surtout de la part de personnes peu au fait de sa démarche. « Nous ne publions que ce que les données montrent », explique-t-il. Gygax a également déjà été confronté à l’affirmation selon laquelle la psychologie n’est « pas une vraie science ». Celle-ci attache pourtant une grande importance à une approche empirique. Les étudiant∙e∙s sont toujours surpris∙e∙s par les nombreux cours de statistiques et de méthodologie à suivre dans le cadre de leurs études de psychologie.
Une vision à long terme plutôt qu’une vision en tunnel
Les lauréat∙e∙s prennent également le temps de répondre aux questions personnelles. A la question de la médaillée de biologie Leora, qui lui demande comment il a appris l’existence du Prix, Gygax raconte avec beaucoup d’humour comment il a d’abord pris l’appel de Guy Parmelin pour une blague. Lesya Shchutska, venue à l’atelier avec son bébé dans les bras, est interpellée par Nancy, alumna de Sej, sur la conciliation de la vie familiale et professionnelle. Elle explique comment elle garde le contact avec son groupe de recherche pendant son congé de maternité – parce qu’elle le souhaite. La physicienne explique aussi qu’il est possible de se mettre en retrait, car en quatre mois on ne manquera probablement pas une révolution scientifique. Le fait que Lesya Shchutska ait un bébé avec elle l’a d’abord surprise. « Cela a montré : ok, la famille et la science, c’est aussi possible ». Ce que Leora retient surtout de l’atelier, c’est la recommandation de ne pas développer une vision en tunnel, mais de rester curieuse et de continuer à se former dans différents domaines. Enfin, elle retient aussi une certaine sérénité : « Il n’est pas nécessaire d’avoir un objectif dès le départ. Ça va venir ».
En savoir plus
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