Histoire | Géographie | Économie | Société

 

Emma Rywalski, 2003 | Lausanne, VD

 

Ce travail porte sur la figure d’Hypatie d’Alexandrie, philosophe et mathématicienne de l’Antiquité tardive. Femme païenne et scientifique vivant dans une Égypte romaine et fortement christianisée, elle fut sauvagement assassinée par un groupe de chrétiens. Mes recherches et réflexions ont pour objet d’une part le parcours de vie d’Hypatie et d’autre part les différentes récupérations de ce personnage à travers les siècles.

Problématique

Dans la première partie du travail, j’ai tenté de proposer une représentation la plus fiable possible l’Hypatie historique, celle qui vivait dans une Alexandrie d’une rare diversité culturelle, carrefour des savoirs de l’Antiquité tardive, cité prospère, mais tiraillée par des conflits politiques et religieux, tout en exposant ce que l’on ne sait pas d’elle. J’y aborde également la question de son assassinat, les circonstances de celui-ci et la responsabilité contestée de l’évêque d’Alexandrie canonisé Saint Cyrille, en interrogeant le poids qu’y a pesé sa condition de femme. Dans un second temps, je me suis focalisée sur les principales récupérations de la figure d’Hypatie afin d’observer la légende qui s’est créée autour de son personnage. J’ai cherché à déterminer le degré de neutralité des auteur·es dans cette instrumentalisation de l’histoire, à cerner les axes thématiques de récupérations, à identifier les éléments historiques de l’existence d’Hypatie sur lesquels elles se fondent, et à comprendre pourquoi sa figure se prête si bien aux relectures.

Méthodologie

La littérature secondaire exploitée dans le cadre de ce travail est constituée de recherches d’historien·nes sur la vie d’Hypatie, sa fin tragique et le contexte dans lequel elle s’inscrit. D’autres travaux concernent les relectures successives de la figure d’Hypatie. L’éventail des sources utilisées est varié, étant donné qu’elles proviennent tant de la période antique que des époques suivantes. Parmi elles, des récits du meurtre d’auteurs contemporains d’Hypatie, des chroniques chrétiennes du Moyen Âge, des pamphlets anticatholiques de Voltaire, un poème romantique ainsi qu’une œuvre d’art contemporain réalisée dans les années 1970 par l’artiste féministe Judy Chicago. D’un point de vue méthodologique, ces sources ne peuvent être étudiées sans une distance critique considérable, étant donné la subjectivité de leurs auteur·es.

Résultats

Divers éléments se conjuguent pour expliquer le meurtre de la savante par les chrétiens, notamment le prétexte politique concernant les liens d’amitié entre Hypatie et le préfet Oreste, la jalousie de Cyrille, ou sa philosophie enseignant une critique rationnelle qui représentait un risque de révolte contre l’autorité du patriarcat. Elle dérange aussi parce que c’est une femme intellectuelle, insoumise, autonome, une femme trop libre pour son temps. Considérer ces sources m’a permis de constater que l’on ne s’est jamais véritablement intéressé à Hypatie pour qui elle était et ce qu’elle pensait, mais pour ce que l’on a pu faire dire à son histoire, pour ce que l’on a voulu en dire. Certaines tendances se dégagent dans les motifs des reconstructions de son récit en fonction de leur période de formation : lutte contre l’intolérance chrétienne, contre l’obscurantisme, contre la hiérarchie, contre la misogynie, pour le savoir ou l’hellénisme perdu. J’ai compris que si sa figure est aussi malléable, c’est à cause de l’absence d’éléments précis et attestés sur son existence et sa mort, qui laisse place à l’imagination et aux fantasmes.

Discussion

En terminant mon travail, j’ai été surprise de la plasticité du récit d’Hypatie et du nombre d’autres figures ou sujet antiques qui avaient subi ce processus de récupération. En portant un regard critique sur mon analyse, je prends conscience de mon propre point de vue socio-historico-culturellement inscrit avec lequel j’ai réalisé ma recherche, nul·le auteur·e ne pouvant prétendre faire preuve d’une objectivité pure.

Conclusions

Ce travail à la croisée de plusieurs domaines – histoire des femmes, philosophie, langues antiques, sciences exactes – m’a permis d’aborder la question de fond de la subjectivité et de l’objectivité, mais aussi de réaffirmer la nécessité d’une méthodologie stricte en Histoire pour départager le réel du mythe. Enfin, j’ai pu prouver l’importance de l’Histoire antique et le rôle qu’elle joue dans la façon dont nous envisageons notre monde contemporain. Dans le cadre d’un travail de plus large envergure, j’aurais apprécié observer les répercussions directes de l’assassinat d’Hypatie, ou poursuivre sur l’histoire des femmes en considérant d’autres figures féminines illustres par exemple.

 

 

Appréciation de l’experte

Dr. Elodie Paillard

La candidate fait preuve d’une méthode scientifique rigoureuse dans sa recherche portant sur une figure féminine de l’Antiquité et sa réception. L’aisance rédactionnelle et l’argumentation bien construite mettent en valeur un contenu très riche. La discussion de l’objectivité des sources relève d’un véritable travail d’historienne et la distance critique de l’auteure par rapport à son propre regard sur l’objet de la recherche est un élément fort de la réflexion présentée. La diversité chronologique des documents étudiés démontre les compétences remarquables de la candidate.

Mention:

excellent

Prix spécial MEM Summer Summit dell’Università della Svizzera italiana (USI)

 

 

 

Gymnase de la Cité, Lausanne
Enseignante: Lorraine Pidoux