Histoire | Géographie | Économie | Société

 

Aitor Meyer, 2000 | Moutier, BE

 

Ce travail en histoire des idées politiques poursuit l’analyse de Michel Foucault sur l’évolution des structures de pouvoir depuis le bas Moyen-Age jusqu’à l’aube des années 1980, autour des notions de société, de souveraineté et de discipline. Il argumente en faveur de l’appellation de « société de contrôle » concernant le régime de valorisation économique actuel en mettant l’accent sur les phénomènes de subjectivation propres aux individus salariés occidentaux à l’aide d’exemples historiques. Pour ce faire, la chronologie foucaldienne est relue en mettant l’accent sur la différentiation homme-femme. L’évolution du régime économique, avec l’apparition du capitalisme, dicte en outre le type de structures de pouvoir en termes de valorisation, ce qui justifie une approche rigoureuse des politiques économiques et des conditions de travail pour comprendre la subjectivation actuelle des individus.

Problématique

Les structures de pouvoir diffèrent depuis les années 1970: au centre de ces changements apparaît un nouvel individu, l’entrepreneur de soi. Ce modèle s’oppose aux périodes précédentes. Au capitalisme industriel correspond la société disciplinaire, avec l’organisation de milieux d’enfermement comme lieux de pouvoir privilégiés. Ce contrôle deviendrait de plus en plus fin et s’exercerait dans le rapport de l’individu à son travail. Cependant, cette vision négative du travail est contestable. En effet, ce dernier peut être une source de réalisation de soi pour les individus. D’autre part, la valorisation économique s’étant déplacée vers les institutions financières, le travail peut-il continuer d’être au centre de ce type d’analyses? De plus, « l’entrepreneur de soi » étant de plus en plus impuissant face à l’économie numérisée, les voies d’émancipation décrites par cette littérature critique sont-elles encore envisageables?

Méthodologie

La méthode établit un état de l’art des ouvrages abordant la subjectivité en rapport avec divers régimes de pouvoir. La littérature est ensuite discutée à l’aide d’exemples historiques dûment documentés permettant de saisir l’effet de ces divers régimes sur la liberté économique et politique des individus. De l’abrogation de la loi de Speenhamland en Grande-Bretagne en 1834 au statut ambivalent des chauffeurs Uber en passant par l’organisation tayloriste du travail au début du XXe siècle, les concepts utilisés pour les décrire sont questionnés, y compris celui de « société de contrôle » post-foucaldien.

Résultats

La relecture chronologique de l’exercice du pouvoir montre dans un premier temps que les femmes n’étaient pas soumises comme leurs homologues masculins aux divers régimes décrits par Foucault. Ensuite, que le concept deleuzien de « société de contrôle » est adéquat pour décrire les changements récents dans notre rapport au travail, mais qu’il ne parvient pas à saisir l’effet du déplacement de la valorisation de la production à la transaction boursière. Si les individus du XXIe siècle se soumettent à une société de contrôle marchande, il est plus difficile de saisir où ils se situent dans ce processus où même les Etats et les industriels ne sont plus au centre de l’exercice du pouvoir.

Discussion

La précarisation est réelle dans la société de contrôle marchande: l’influence de la Bourse sur le cours de la vie politique et l’hégémonie de l’austérité marquent un rapport de force défavorable pour les groupes défavorisés. Néanmoins, l’hypothèse d’une union de petits porteurs dans le but de mettre à mal les marchés financiers a trouvé un écho avec l’affaire GameStop. L’analyse de la valeur de groupes comme Krisis nuance les approches foucaldiennes et post-foucaldiennes, tout comme les sociologues du travail qui ont analysé la différence entre travail prescrit et travail réel – l’application desdites règles. Ainsi, il apparaît que cette activité est un maillon important de la vie des humains, qui leur offre la chance de nouer des solidarités et de donner un sens à leur vie.

Conclusions

Ce travail affiche un certain pessimisme par rapport aux marges de liberté des individus face à l’exercice du pouvoir. L’horizon politique est bouché pour le camp émancipateur, l’hégémonie culturelle –au sens gramscien du terme– est plus que jamais néolibérale, lorsqu’elle ne bascule pas dans un conservatisme radical et la crise actuelle ne semble pas rebattre les cartes malgré les enjeux sanitaires. Néanmoins, la crise économique, en se durcissant, sera peut-être l’ouverture qui permettra de formuler de nouvelles règles du jeu et de renverser la société de contrôle.

 

 

Appréciation de l’experte

Lic.Phil. Loïse Bilat

À partir d’une question existentielle, celle de l’existence de rapports de pouvoir consentis dans les sociétés occidentales basées sur l’idée cardinale de liberté individuelle, le candidat fournit un travail historiographique d’une grande érudition et d’une systématicité remarquable quant aux sources qui permettent d’illustrer les phases de changement de l’exercice de la domination économique. D’un style proche de l’essai, le travail, en s’appuyant sur des exemples concrets, pointe l’imbrication contemporaine des individus dans un système où ils sont à la fois créanciers et débiteurs.

Mention:

bien

 

 

 

Gymnase français, Biel/Bienne
Enseignant: Gauthier De Salis