«Je n’avais pas encore tout dit»

Ici, le charme typique fribourgeois vous entoure de toute part. Nous sommes arrivé·e·s au Mouret, devant la bonne boîte aux lettres. Derrière un étang givré et une petite cabane de jardin se dresse la maison des grands-parents de Nora Irzik, cachée à l’abri des regards indiscrets.

Nora nous ouvre la porte. Impossible de passer à côté de son regard vif d’un bleu ciel lumineux qui ne laisse pas deviner les épreuves qu’elle a dû surmonter. L’entrée et le salon sont chaleureusement décorés. Parmi les petites statuettes et les théières tibétaines, les dernières radiographies de Nora sont posées en évidence sur la table basse.

«L’ostéochondrome est un trouble squelettique autosomique, rare et dominant, caractérisé par la présence de tumeurs (exostoses), explique-t-elle en pointant les amas blancs sur ses radios. En cause: l’héparane sulfate, une molécule induisant, entre autres, la polarisation des chondrocytes (cellules cartilagineuses) autour de l’axe physiologique. Chez les personnes atteintes, l’héparane sulfate reste dans la cellule et le corps ne peut l’utiliser. Les chondrocytes se multiplient alors aléatoirement et forment des tumeurs», résume-t-elle. Pour l’instant, la seule solution reste la chirurgie. Après l’ablation des tumeurs, certains os sont rallongés mécaniquement. Ce qui implique de longues périodes d’hospitalisation.

Lorsqu’elle rentre à l’école secondaire, la maladie est à son apogée. Nora est confrontée au regard que les autres adolescent·e·s posent sur son corps. «J’avais des exostoses importantes au niveau des genoux. Je marchais différemment et ça se voyait», explique-t-elle. Il faut dire que les injonctions au «corps parfait» sont omniprésentes sur les réseaux sociaux, qui plus est au sein de cette génération. Au fil des années, Nora arrive tout de même à construire sa propre définition de la «normalité». «Aujourd’hui, j’ai retiré la majorité des exostoses qui me dérangeaient mécaniquement parlant. J’en laisse certaines, car elles ne m’empêchent pas de vivre. Je les ai acceptées».

Nora décide d’y consacrer son travail de maturité après quelques hésitations: «Plus jeune, je l’ai tellement rejetée. Je ne voulais pas être ma maladie. J’ai voulu saisir cette occasion pour justement comprendre ce qui se passait en moi», confie-t-elle. Elle se lance donc dans la rédaction. Lorsqu’elle rend son travail de maturité, elle n’est pas entièrement satisfaite. «J’avais l’impression de n’avoir pas tout dit. Je voulais donner une suite à mes recherches dans le domaine de la médecine. C’est à ce moment que j’ai commencé à chercher des concours sur internet. J’ai cliqué sur le site de la Fondation Science et jeunesse et tout a commencé», se souvient-elle.

Elle envoie directement son travail avec l’appréhension de ne pas remplir tous les critères de participation. À sa grande surprise, celui-ci est retenu pour l’étape du Workshop de sélection. Puis, elle se qualifie pour la Finale.

«Je sais que je ne suis pas seule»

Entre le Workshop de sélection et la Finale, les participant·e·s sont amené·e·s de janvier à mars à développer leur travail, accompagné·e·s par un·e expert·e. Et pour le coup, Nora n’a pas chômé. «J’ai presque triplé mon nombre de pages! Nous avions une liberté quasi totale, j’ai proposé à mon experte d’approfondir certains thèmes, elle n’a jamais refusé. Bref, j’ai réussi à rendre un travail dont je suis fière. Oui… j’ai pu tout dire!»

Au fil des semaines, Nora Irzik nourrit son projet scientifique avec de nombreux témoignages. Elle contacte une association de personnes atteintes aux Etats-Unis. Et mène une quarantaine d’entretiens avec des américain·e·s, mais aussi des australien·ne·s. «J’avais déjà exemplifié mes analyses avec ma propre expérience, mais je n’avais jamais rencontré d’autres personnes touchées par cette maladie», souligne-t-elle.

L’ostéochondrome multiple héréditaire est, comme son nom l’indique, une maladie qui se transmet par un membre de la famille. Mais, Nora est la première personne de sa lignée à présenter cette particularité génétique. «C’est difficile de se construire sans l’expérience de quelqu’un, sans pouvoir poser des questions et partager mon quotidien, confie-t-elle. Cette recherche scientifique s’est accompagnée d’une prise de conscience. J’ai su que je n’étais pas seule».

Vendre son projet

La Finale se déroule à Rapperswil en avril 2019. Nora a préparé son poster et occupe un stand pendant trois jours où elle va pouvoir concrétiser son objectif: parler de la maladie, la visibiliser, l’expliquer au grand public, mais aussi aux autres exposant·e·s. «J’ai présenté mon travail en français, en anglais et en allemand, j’ai appris à adapter mon discours en fonction des personnes avec lesquelles je conversais. C’était d’ailleurs un très bon entraînement juste avant de passer mes examens de maturité», ajoute-t-elle en riant.

Le Concours national de Science et jeunesse lui a permis de maîtriser une compétence particulièrement importante: l’art de parler en public: «C’était tout un apprentissage! Choisir les bons mots, être claire, ne pas bégayer et vendre mon projet».

Une femme de science

«La remise des prix était un moment particulièrement fort, se souvient-elle. L’ambiance était euphorique, des participant·e·s ont reçu des Prix spéciaux leur permettant d’aller à Taiwan ou à Abu Dhabi. Nous nous réjouissions des victoires de chacun·e».

Nora Irzik est, elle aussi, appelée sur la scène. On lui décerne le Prix spécial «Life Sciences Switzerland», qui lui permet d’assister à une conférence à l’Université de Zurich où des chercheur·euse·s éminent·e·s exposent leurs travaux. L’aventure ne s’arrête pas là. Inscrite et active dans le groupe des Alumni·ae de Science et jeunesse, elle est contactée par la Fondation Balzan qui l’invite à participer à plusieurs jours de Workshops avec des scientifiques du monde entier.

«J’étais un peu intimidée avant d’assister à ces événements, je ne pensais pas correspondre, à première vue, à l’image qu’on se fait d’un scientifique. Quand vous imaginez un chercheur, vous pensez directement à Louis Pasteur, Stephen Hawking ou à des mécènes tel que Bill Gates. Mais on n’imagine rarement une femme», souligne-t-elle.

Nora est ambitieuse et ne se laisse pas intimider. Du haut de ses 19 ans, elle se glisse dans cet univers stimulant et arrive à faire sa place en tant que femme de science. «Je me suis sentie légitime. J’étais là, car je l’avais mérité et chaque personne s’est adressée à moi sur un pied d’égalité, malgré mon âge. Toutes ces expériences ont renforcé mon choix de m’inscrire à la Faculté de médecine. Je ne m’en sentais pas forcément capable avant. Mais les personnes que j’ai rencontrées dans le cadre du Concours national m’ont soutenue et valorisée. Finalement, je me suis dit: ‘moi, médecin. Et pourquoi pas!’»